Note de mise en scène

J’imagine les personnages de NOTRE CLASSE déjà morts et qui dans l’étrange procédée d’une optique testamentaire vont nous raconter les tribulations de leur vie. Drôle de revenants, peinant à parcourir les grands évènements de leur passé. Il faudra une esthétique particulière pour faire de la scène une classe d’école imaginaire. J’ai choisi un plateau vide sans scénographie…
Vide et pourtant rempli des présences, car j’apporte sur scène un grand nombre de vieux vêtements. Le vêtement est « le prolongement inanimé de ce que fut un corps vivant, un support de la mémoire » dit Manon Gignoux lors de notre collaboration. Dans le travail scénique, j’emmène l’acteur à travailler sur le volume du vêtement, sa matière afin d’extraire la sculpture de quelqu’un qui le jadis portait. Il s’agit, peut être d’un fantôme qui lui servira du modèle pour jouer le revenant. Cette recherche comporte aussi l’usage détourné du vêtement, convoque les gestes de l’habilleur, interroge le déshabillement ou changement des habits. La scène sera ainsi « habillée » de vêtements sculptures (cintres suspendus, poupée de chiffon) et de vêtements qui jonchent le plateau en donnant l’image d’absence de ceux qui les ont portés.
La mode d’énonciation du monologue intérieur, du soliloque racontant un accéléré une vie, appelle à employer dans le jeu d’acteur une sorte de distanciation brechtienne. D’autant plus que ce qu’on croit être un souvenir est raconté au temps présent. Les personnages utilisent souvent l’autocommentaire, non dépourvu de l’ironie. Je souhaiterais éloigner l’acteur du jeu naturaliste et l’inviter plutôt à employer le corps, sa mémoire pour s’amuser avec le texte, sans jamais l’incarner véritablement. C’est pour cette raison que je commence chaque séance de répétitions par le travail corporel inspiré par mon expérience dans la danse. Suivi du jeu avec la matière de vêtements, ce protocole est une porte ouverte vers l’imaginaire des acteurs permettant de faire jaillir des images à la lisière du fantastique où la seule logique est celle du rêve. La poétique du spectacle devient ainsi de plus en plus onirique et permet de contenir la succession de scènes parfois terribles, violentes ou invraisemblables.
Le rythme endiablé du temps, sa folle accélération devient alors celui d’un songe où les images surgissent, aussitôt disparaissent, s’entreposent comme les clichés de la mémoire. « Une musique qui n’a plus de larmes » dit le compositeur Stefano Fogher. La partition musicale qu’il écrit est une dramaturgie parallèle à celle du texte. C’est un récit souterrain qui porte le sens du tragique. Elle veille sur le rythme de l’action, peint les images par delà la matière textuelle, devient le souffle du spectacle, sa respiration organique qui crée une tension et donne du tempo au jeu d’acteurs. Plusieurs d’entre eux sont des véritables musiciens, d’autres, passionnés, apprennent lors des ateliers musiques qui font partie intégrale de notre travail. Ils jouent de cuivres, de cordes, et forment un moment donné une fanfare. Les instruments posés sur le plateau font partie du décor. Par moments ils deviennent les instruments de la guerre.
La figure du chœur théâtral est très importante dans mes recherches. Il ne s’agit pas seulement d’un corps à plusieurs têtes (image qui reviendra dans le spectacle) mais il est aussi question d’une résonnance commune. Je conçois le rapport entre les acteurs comme une relation organique. Chaque mouvement a sa répercussion. Je crée un spectacle musical, onirique et poétique.